Keylan poussa la porte un peu angoissé. En fait, il ne savait pas trop sur quoi il allait tomber. Il avait entendu parler d'un pub dans Calaus, mais c'était la première fois qu'il y mettait les pieds. Et pas seul, qui plus est. En fait, Agneau était là, lui aussi. Derrière lui, plus exactement.
A l'intérieur, il n'y avait pas grand monde. En même temps, il était près de 17h, pas bien plus. Une table était occupée par un couple qui ne semblaient vouloir cesser de se bécoter. La seule autre table occupée était par un vieillard visiblement ivre mort, qui bavait sur sa table. Beurk.

Mine de rien, Keylan entra donc dans le pub. Il repéra le bar, au fond à gauche de la salle. Il s'y dirigea donc comme s'il en avait l'habitude. Il s'assit, toujours mine de rien, au bar, et jeta un regard à l'autre agneau. Lui-même était gêné, alors bon ... Il se tourna vers le barman, un jeune homme grand, sec, livide qui posait sur lui un regard vitreux. Se raclant la gorge, il attendit que l'autre agneau s'assit à côté de lui pour commander deux bières, en espérant qu'il n'était pas anti-biériste.

Puis il se demanda ce qu'ils faisaient là. Et faillit en rire. Hé oui, il n'avait rien trouvé de mieux. Mais c'était toujours mieux que de rester seul ...
Le barman servit donc rapidement deux pintes, les faisant glisser à eux, puis s'éloigna pour s'occuper de son vieillard, et visiblement tenter -en vain- de le faire déguerpir.

L'agneau s'était donc assit à ses côtés, accoudé au comptoir. Keylan vit tout de suite son visage se fermer lorsqu'il jeta un regard à la ronde. Bah quoi ... Ils étaient, comme deux personnes normales, rentrés dans le bar pour boire un verre, non ? Ce n'était pas ce que faisaient les personnes normales ? S'inviter tranquillement à boire un verre ? Alors Keylan n'y comprenait plus rien. Parce que, certes, il n'était vraiment pas doué à ce genre de choses, mais il pensait tout de même que ce n'était pas une si mauvaise idée que ça, après tout.
Une fois servis, l'autre agneau prit l'une main pas si assurée que ça sa bière et y trempa ses lèvres.

Keylan leva sa chope à son tour pour boire une gorgée et faillit s'étouffer lorsque l'autre commença à délirer.

- Et donc, nous voila dans un bar, une bière chacun. Quelle est la prochaine étape du coup ? Vas-tu me souler ?

Non mais quoi ? C'était quoi son problème ? Fallait-il toujours qu'il cherche des sous-entendus à ce genre de choses ? Non, il ne voulait pas le bourrer, non il ne voulait pas faire je ne sais quoi, non non non. Il voulait juste boire UNE bière. UNE. Pas quinze, UNE. Loin de lui l'envie de pisser toute la nuit, armé d'une gueule de bois à s'en taper la tête par terre. Non, non, et pour finir : non.
Keylan ne put s'empêcher de soupirer, le regard désespéré. Et déjà, l'autre continuait dans sa lancée.

- Si c'est le cas, tu devras me reconduire dans ma chambre, et je te promets que je suis lourd Bambi.

Keylan ne put se retenir un froncement de sourcil nerveux au dernier mot. Il enfonça sa tête dans ses épaules, vexé. Non. Personne n'avait le droit de l'appeler ainsi. Définitivement. Personne.
Et là-bas, le vieillard commençait à hausser le ton sur le barman, qui ne savait plus comment s'y prendre. Keylan se retourna donc et tomba sur le jeune couple qui les regardaient, penchés l'un vers l'autre, en riant comme des poules. Ou des poulets. Voire même des dindes.
L'australien fronça les sourcils en retournant à sa bière, le visage fermé, grave. Ah oui. Il avait oublié où ils se trouvaient. Villages de menteurs, de mesquineries, de stupidité, et royaume de l'hypocrisie. Si ça se trouvait, l'homme à ses côtés n'était là que pour percer à jour tous ses secrets. Non, non, il ne devait pas se poser de telles questions, sinon il allait en mourir. Alors il se concentra sur sa bières, et se tourna vers l'agneau. Prenant une grande inspiration et bravant ses principes, il dit :

- Pas à te saouler. Juste à être sympa. Au milieu de cette belle bande d'abruti.

Il but une nouvelle gorgée de sa bière, et finit par poser sa tête sur ses bras croisés, sur le bar. Il en avait franchement marre de tout ça. Et l'énorme mal de tête qui commençait à envahir son crâne n'arrangeait rien à son désespoir. Il osa alors fermer les yeux un instant, et s'imaginer dans un tout autre endroit, tranquillement installé au milieu d'un champ par exemple. Finalement, il finit par se redresser et adresser un haussement d'épaule indifférent à l'autre agneau.

-Être sympa ? Toi ? Je pensais que ton passe temps c'était de ne pas parler et avoir une moue boudeuse sur le visage.

Keylan aurait voulu lui tirer la langue et détourner la tête, mais cela semblait un petit peu trop ... enfantin. Quoi qu'il s'en fichait un peu. Mais bon. Il se contenta de froncer les sourcils comme à son habitude, et de prendre sa mine boudeuse, comme disait l'agneau. Parce que bon, il était vrai que faire la gueule était un passe-temps agréable, mais qu'on lui fasse remarquer était moins agréable.
Après tout, cet abruti ne pouvait pas savoir.

Un instant, un air un peu triste passa sur son visage, que Keylan s'empressa vite de chasser. C'était ainsi, il n'y avait plus à y penser.

-Donc, tu fais le gentil, tu ne me saoules pas, et on reste à l'écart des crétins qui semblent pulluler dans cette ville. Oui, c'est un bon plan. Mais tu es sûr que tu ne veux pas garder ta tête d'enterrement ? Elle risque de me manquer sinon...

Les sourcils de Keylan s'affaissèrent dans une expression de ... de type blasé, en fait. Non mais, ce gars avait franchement un problème. Il voulait quoi ? C'était peut-être lui qui voulait mettre son plan à exécution et le saouler, peut-être. Hum hum hum ... il fallait se méfier.

Le barman sortit le vieillard, puis rerentra en pestant verbalement contre ce vieil ivrogne. A vrai dire, Keylan compatissait. Ca ne devait pas être facile tous les jours.
Et le vieil ivrogne rerentra à son tour en gueulant. Keylan s'en serait tapé la tête contre la table, et le barman semblait vraiment s'affoler. Et le croûton, qui tanguait dangereusement, se mit à déverser un flot d'insulte sur le pauvre homme qui n'essayait que de faire son boulot. Celui-ci saisit le téléphone fixé au mur et composa un numéro ... qui devait être celui de la police. Il y avait vraiment quelque chose qui ressemblait à un commissariat dans ce vieux patelin pourri ? Enfin bref, ceci ne sembla pas plaire à l'ivrogne qui se mit à cracher un tas d'insultes et de menaces plus décousues les unes que les autres. Et tout ceci commençait vraiment à taper sur les nerfs de Keylan.

Alors il lança un regard vers son agneau en soupirant, avant de se lever en faisant exprès de faire crisser son siège sur le sol en le poussant. Le vieil ivrogne se tourna donc vers lui, en continuant à déballer des tas d'insultes, à son encontre, cette fois.

- Bé quoi, qu'est-ce qu'y a  là l'p'tit poney là-haut, y'veut chercher la bagarre ?

Cela donnait à peu près ça, à quelques bafouillages près. Il n'était vraiment pas frais du tout celui-là.
Les sourcils froncés, Keylan s'approcha de lui, grimaçant devant l'odeur mêlant urine -allez savoir pourquoi- et alcool qu'il dégageait. Une fois devant lui, l'autralien lui dit d'un ton grave :

- Excusez-moi, monsieur, mais je crois qu'il faudrait mieux que vous partiez.

L'autre cracha par terre, et lui lança un regard mauvais, les pupilles vivantes.

- Ah ouais ?

Keylan fronça un peu plus les sourcils. Il jeta un regard au barman qui avait arrêté de son geste pour suivre l'action, le regard inquiet. Celui-ci lui fit d'ailleurs un signe de la tête et raccrocha le téléphone. Il fallait le mettre dehors, et sans les flics, c'était mieux. Il allait faire fuir la clientèle. Sauf peut-être le couple qui semblait plié en deux, ricanant comme des hyènes, désormais.

- On ne veut plus de vous ici, alors partez maintenant. S'il vous plaît. Avant que je ne sois obligée de vous jeter dehors par moi-même. J'aimerais éviter, si cela est possible.

La peau de l'homme prit une teinte cramoisie des plus étranges, alors qu'il essayait de faire comme s'il était prêt à se battre.