Le monde tout entier s'était écroulé. Effrité peu à peu par l'érosion des souvenirs, tout avait fini par s'achever. L'espoir, et de la même manière le désespoir, avaient foutu le camp. Seul restait dans sa mémoire une vague illusion de ce qu'avait été le bonheur. Mais peut-on vraiment appeler bonheur l'état durable de plénitude, de satisfaction, d'équilibre de l'esprit et du corps, d'où la souffrance, le stress, l'inquiétude et le trouble sont absents, mais aussi l'état issu d'un immense mensonge ? Est-ce que ce plaisir sans fin qui avait longtemps émerveillé le monde autour de lui n'avait rien été de plus qu'une vaste illusion ? Et ce secret qui pesait désormais sur ses épaules. Le monde entier ne valait désormais plus qu'une cacahuète qu'on tend à un éléphant. Un monde où la confiance n'est qu'un subterfuge. On lui avait menti et on lui mentirai encore. Tel était le cours de la vie.
Depuis sa rencontre avec le vieux fou, Keylan ne savait plus ce qu'il devait faire. Il était au fond du trou. Seul. Et la seule perche qu'on lui tendait l'invitait à rejoindre un monde où chaque être est pourri jusqu'à la moelle. A quoi bon ?
Alors il marchait, refermant seul son tombeau de solitude. Il ne savait plus où aller. Il n'avait plus de chez lui. Pourquoi devait-ce lui arriver ? Il aurait préférer mourir avec sa famille, avec Elle. Il était certain que ça aurait été moins douloureux.
Ses pas le menaient au hasard, bousculant quelques passants étonnés face à son regard morne, sa mâchoire serrée. Il voulait partir. Foutre le camp. Fuir ce monde de fou. Car toutes ces personnes qui l'entouraient étaient folles. Qui préférerait une vie hypocrite à une vie saine ? Car la vie au Château était tout sauf saine.

Soudain, le jeune homme bifurqua sur un cours d'eau entouré d'arbres. L'eau lui paraissait grise. Froide. Dénudée d'un quelconque réconfort. Les ombres monstrueuses des arbres l'effrayaientt. Mais cette peur lui faisait du bien. Elle accaparait son esprit, si bien qu'il décida d'y rester. Au moment où il s'assit contre un tronc aux racines noueuses, il réalisa qu'il avait oublié de récupérer ses affaires auprès du personnel. Hélas. Cette pensée lui arracha un soupir. Rien que l'idée de devoir remettre le pied dans ce château hideux le faisait frissonner d'effroi.
Son souffle se calmait enfin. Les yeux fermés, il observait les ombres qui dansaient à travers ses paupières, prenant enfin conscience du calme profond qu'elles véhiculaient. Il reprennait vie peu à peu. Il sentit à nouveau la fine brise qui caressait son visage. Les doux baisers de l'herbe fraiche sur ses mains. Le léger piaillement des oiseaux à quelques mètres. Le doux roucoulement de l'eau tout près de lui. Le froissement régulier des branchages. L'odeur exquise du printemps. Le poids de l'atmosphère sur son corps tout entier. Alors, oui, il céda à la nature de ce pays nouveau, de cette rencontre innocente. La nature le protégeait déjà. L'accueillait dans son cocon rassurant. Alors, il s'offrit aux bras de Morphée, tombant dans un sommeil léger, doux, sans rêve. Loin de la réalité.